La Niçoise, Surya Bonaly a marqué l’histoire du patinage artistique. En 1994, celle qui estime que sa marginalité physique et le racisme l’ont privée d’un titre de championne du monde dans cette discipline entre dans l’histoire du patinage grâce à une figure inédite. Retour sur le parcours de la jeune cinquantenaire vue par une de ses amis.
Née le 15 décembre 1973 à Nice, Surya Bonaly a été adoptée dès ses 8 mois par Suzanne et Georges Bonaly qui ne pouvaient pas avoir d’enfants.
Tous deux avaient d’abord prévu d’accueillir un enfant venu d’Inde. Mais un coup de fil, de l’orphelinat de Nice, leur annonce qu’ils peuvent adopter une petite fille. La mère biologique est originaire de La Réunion, le père de la Côte d’Ivoire. Les futurs parents Bonaly enchantés acceptent cette proposition et décident alors de lui donner le nom de Surya qui signifie “Soleil” en hindi.
C’est sa mère, qui était professeure de sport au collège Paul-Langevin à Carros dans les Alpes-Maritimes, puis au collège Albert-Schweitzer de Créteil, qui lui transmet la passion du sport. Elle grandit et excelle dans les nombreux sports qu’elle pratique : escrime, danse, gymnastique et patinage !
C’est également sa mère qui lui transmet la passion du patinage artistique, pratique qu’elle lui fait découvrir pour la première fois à l’âge de 3 ans.
Jusqu’à ses 12 ans, Surya Bonaly grandit dans l’arrière-pays niçois et c’est à la maison qu’elle suit sa scolarité.
Au commencement, la gymnastique
Cependant, la championne ne s’est pas fait connaître en patinant, mais sur les tapis de gymnastique artistique en équipe de France où elle acquiert alors le titre de championne du monde espoirs de tumbling.
Repérée par un entraîneur dans cette discipline, elle déménage à Paris pour se consacrer entièrement à ce sport. Pré-adolescente, elle rejoint l’équipe nationale, ose des figures, marque la glace de son empreinte.
J’ai toujours voulu rester moi-même. Je n’ai jamais essayé d’être rebelle. J’ai toujours voulu me donner à 100%
Surya Bonaly
“C à vous” en 2022.
Neuf fois championne de France, cinq fois championne d’Europe, trois fois vice-championne du monde senior… Un palmarès à faire rêver plus d’une patineuse ! Et pourtant, celle qui a toujours couru sous les couleurs françaises n’est jamais parvenue à se hisser sur le toit du monde, ni à compléter ce palmarès d’une médaille olympique alors qu’elle a participé à trois éditions (1992, 1994 et 1998).
Est-ce lié à son style ? Son caractère ? Son côté rebelle ?
“Elle était toujours contente, jamais fatiguée”
“C’est grâce à elle que j’ai commencé la gym et le patinage”, confie Rodolphe Marechal, aujourd’hui entraîneur diplômé d’Etat au club de patinage Nice Baie des Anges et qui entraîne l’espoir français Adam Siao Him Fa, champion d’Europe et champion de France.
“Nous étions dans le même club, Surya et moi. Nous avions, allez, à tout casser 5 ans ! Nous avons fait du sport ensemble jusqu’à ce qu’elle parte en banlieue parisienne. Nous devions avoir une douzaine d’années. Elle était toujours contente, jamais fatiguée. Nous avons bien rigolé et surtout nous nous entraînions comme des fous. Nous adorions ça, l’un et l’autre”.
Aussi douée pour le patin que les sauts, la jeune athlète finit, tout de même, par choisir le patinage pour devenir dès 1988, membre de l’équipe de France.
Tout comme sa grande amie, Rodolphe lui aussi se dirige très sérieusement vers le patinage artistique en compétition : ” Nous faisions “du couple” ensemble quand nous étions petits.
Sur la patinoire, rien ne pouvait nous arrêter. Aux entraînements, c’était une travailleuse acharnée et toujours avec beaucoup de sérieux, ce qui ne nous empêchait pas de bien s’amuser. Ça n’a jamais changé d’ailleurs. Tout comme notre amitié. Toujours aussi solide que quand nous étions enfants !
Rodolphe Marechal, entraîneur au club de patinage Nice Baie des Anges.
Sur le chemin de la gloire
En 1985, la famille Bonaly déménage à Champigny-sur-Marne, en banlieue parisienne.
Elle garde de ses années de gymnaste une musculature très développée. Avantage pour certains, inconvénient pour d’autres.
Trop musclée, pas assez gracieuse. Elle était bien loin des standards acceptés par son sport. Des propos que confirme Rodolphe Maréchal : “Le problème à cette époque, c’est qu’on était sur des stéréotypes genre Katarina Witt. Surya, elle, elle était bien trop athlétique et ça ne plaisait pas. À cette période de l’histoire du patin à glace, tout était plus classique, plus féminin, moins performant”.
C’est là que la petite Surya rencontre l’entraîneur Didier Gailhaguet. C’est lui qui permet à la jeune fille de faire décoller sa carrière. En 1991, elle devient championne du monde junior pour la première fois. Ensuite, ce sera sa maman qui sera son entraîneuse attitrée.
L’humiliation des championnats du monde de 1994
En 1994, elle termine 4e aux Jeux olympiques de Lillehammer en Norvège.
Viennent ensuite, la même année, les championnats du monde de Chiba, au Japon. Elle est certaine de remporter l’or avec son programme. Il ne reste plus que la Japonaise Yuka Sato à passer, et techniquement, son programme est en dessous du sien selon les experts.
Les deux patineuses obtiennent le même score. Et par cinq voix contre quatre, les juges décident de sacrer la Japonaise.
“Moi, j’étais devant ma télé et j’ai rien compris. C’était normal qu’elle décroche l’or, cette année-là. Elle la méritait vraiment. Sa technique était la plus innovante, la plus inventive. C’était la meilleure, aucun doute à ce niveau. Et son comportement après, je l’ai compris aussi. Et aujourd’hui encore, je le comprends. C’était sa façon, à elle, de dire que la décision du jury n’était pas juste”, commente son ami d’enfance, aujourd’hui entraîneur au club de patinage de Nice.
La médaille d’or, cette année-là, elle la méritait vraiment. Sa technique était la plus innovante, la plus inventive. C’était la meilleure, aucun doute à ce niveau.
Rodolphe Maréchal, ami de Surya Bonaly.
Et d’ajouter : “Il fallait qu’elle marque le coup. Rien de rebelle là-dedans comme on put le dire certains. Ils n’ont rien compris. C’est juste, que ce n’était pas juste ! Alors elle l’a fait savoir, en redonnant sa médaille d’argent !”.
L’image fait alors le tour du monde. La Niçoise arrive en larmes à la remise des prix. Humiliée par cette deuxième place, elle refuse de monter sur la seconde marche du podium. Finalement, elle accepte, mais retire sa médaille, s’attirant les foudres du public.
Bonaly, la frondeuse ?
Dernier coup d’éclat en 1998, aux Jeux olympiques d’hiver de Nagano. Malgré une blessure au tendon d’Achille, à peine guérie, la patineuse tient à participer à ses derniers Jeux. Elle entre sur la glace et réalise un salto arrière, un backflip. Une figure interdite, qui allait la sanctionner.
Le public ne lui en a pas tenu rigueur, bien au contraire. Les juges si.
Elle a voulu dire au revoir avec panache. Elle savait que c’était sa dernière competition. Elle a essayé de faire bouger les choses.
Rodolphe Marechal, entraineur
Elle termine, donc, à la 10e place. Mais elle a gagné le cœur du public. Après ce coup d’éclat, elle arrête définitivement la compétition.
Dorénavant, elle sera professionnelle.
“Cela ne m’étonne pas du tout de la part de Surya” confie son ami Rodolphe :”Elle a voulu dire au revoir avec panache. Elle savait que c’était sa dernière compétition. En faisant ça, elle a essayé de faire bouger les choses. Ce n’était pas évident à l’époque, vous savez ! Le patinage est un milieu très conventionnel. Ce qu’il faut se rappeler, c’est qu’aujourd’hui, on se souvient de celles et ceux qui ont bousculé ses codes. Il n’y en a pas beaucoup qui ont marqué les esprits. Mais, nous, les Français nous avons toujours été précurseurs. Bien sûr, Surya mais aussi le couple Duchesnay et Philippe Candeloro. Tous ont bousculé et modernisé ce sport”.
Le Surya Bonaly ou le backflip !
Durant de nombreuses années, elle fera partie de la troupe “Champion on Ice”. Pas une fois, elle n’a raté un backflip ! Elle reste, à ce jour, la seule patineuse à avoir réalisé un salto arrière, jambes tendues, pieds décalés, réception sur un pied. Cette figure porte, d’ailleurs, officiellement son nom dans le registre des figures artistiques !
Et son ami d’enfance Rodolphe d’ajouter : “Du temps de Surya, ce sport était bien trop conservateur. Oui, elle a réussi à faire cette figure avec réception sur un pied, mais cela ne pouvait pas rentrer dans le cadre trop rigide du patinage artistique de ce temps-là. Elle s’est battue, des années durant, pour que cette figure soit autorisée. Cette année, on va, peut-être, y arriver grâce à Adam Siao Him Fa, champion d’Europe et champion de France. Avec presque 30 ans de décalage, les mentalités évoluent… un peu !”
“Noirs en France”
Ce mardi 18 janvier 2022 sur France 2, les téléspectateurs vont découvrir les bouleversantes confidences dans le documentaire Noirs en France de plusieurs personnalités noirs, dont Surya Bonaly Yannick Noah ou encore soprano dans le documentaire Noirs en France. Des témoignages sur le racisme dont ils ont été victimes au niveau personnel ou professionnel.
Un passage de cette production a particulièrement ému les internautes puisqu’il s’attardait sur le destin de la patineuse Surya Bonaly, privée de la médaille d’or aux championnats du monde de Chiba au Japon en 1994.
Surya Bonaly avait d’abord refusé la médaille d’argent, alors même qu’elle s’était montrée en tout point techniquement supérieure à sa rivale Yuka Sato. Maboula Soumahoro, Maître de conférences à l’université de Tours, racontait ce qui avait été un tournant dans la carrière de la toute jeune fille : “Elle comprend qu’elle ne pourra pas gagner avec les règles actuelles (…) en tant que corps noir féminin, c’est pas elle, ça ne peut pas être elle, quoi qu’elle fasse. ”
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui âgée de 50 ans, Surya Bonaly n’a pas renoncé au patinage puisqu’elle est désormais coach. Elle participe également à de nombreux galas à travers le monde.
Elle a en revanche arrêté les compétitions depuis 1998 et vit maintenant à Las Vegas. Elle a d’ailleurs pris la nationalité américaine. Elle n’a pas donné suite à la demande d’interview faite par France 3 Côte d’Azur.
Le magazine “20h30 le samedi”, présenté par Laurent Delahousse à feuilleter comme un album de famille la carrière de la championne.